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ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

9 novembre 2010 (*)

«Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale – Règlement (CE) nº 2201/2003 – Litispendance – Action au fond relative au droit de garde d’un enfant et demande de mesures provisoires relative au droit de garde du même enfant»

Dans l’affaire C‑296/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Stuttgart (Allemagne), par décision du 31 mai 2010, parvenue à la Cour le 16 juin 2010, dans la procédure

Bianca Purrucker

contre

Guillermo Vallés Pérez,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. A. Arabadjiev, A. Rosas (rapporteur), U. Lõhmus et A. Ó Caoimh, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la décision du président de la Cour du 15 juillet 2010 de soumettre l’affaire à la procédure accélérée conformément aux articles 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et 104 bis, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 septembre 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour Mme Purrucker, par Me B. Steinacker, Rechtsanwältin,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. J. M. Rodríguez Cárcamo, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme B. Beaupère-Manokha, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme F. Penlington, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mmes A.-M. Rouchaud-Joët et S. Grünheid, en qualité d’agents,

l’avocat général entendu,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) nº 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (JO L 338, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Purrucker à M. Vallés Pérez au sujet du droit de garde de leur fils Merlín.

 Le cadre juridique

3        Le règlement nº 2201/2003 a été précédé du règlement (CE) nº 1347/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs (JO L 160, p. 19). Le règlement n° 1347/2000 a été abrogé par le règlement nº 2201/2003, dont le champ d’application est plus large.

4        Les douzième, seizième ainsi que vingt et unième considérants du règlement nº 2201/2003 énoncent:

«(12) Les règles de compétence établies par le présent règlement en matière de responsabilité parentale sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et en particulier du critère de proximité. Ce sont donc en premier lieu les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle qui devraient être compétentes, sauf dans certains cas de changement de résidence de l’enfant ou suite à un accord conclu entre les titulaires de la responsabilité parentale.

[…]

(16)      Le présent règlement ne fait pas obstacle à ce que les juridictions d’un État membre adoptent, en cas d’urgence, des mesures provisoires ou conservatoires relatives aux personnes ou aux biens présents dans cet État.

[…]

(21)      La reconnaissance et l’exécution des décisions rendues dans un État membre devraient reposer sur le principe de la confiance mutuelle et les motifs de non-reconnaissance devraient être réduits au minimum nécessaire.»

5        Aux termes de l’article 2 du règlement nº 2201/2003:

«Aux fins du présent règlement on entend par:

1)      ‘juridiction’ toutes les autorités compétentes des États membres dans les matières relevant du champ d’application du présent règlement en vertu de l’article 1er;

[…]

4)      ‘décision’ […] toute décision concernant la responsabilité parentale rendue par une juridiction d’un État membre, quelle que soit la dénomination de la décision, y compris les termes ‘arrêt’, ‘jugement’ ou ‘ordonnance’;

[…]

7)      ‘responsabilité parentale’ l’ensemble des droits et obligations conférés à une personne physique ou une personne morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant. Il comprend notamment le droit de garde et le droit de visite;

[…]

9)      ‘droit de garde’ les droits et obligations portant sur les soins de la personne d’un enfant, et en particulier le droit de décider de son lieu de résidence;

[…]»

6        L’article 8, paragraphe 1, de ce règlement prévoit:

«Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie.»

7        L’article 16 du règlement n° 2201/2003, intitulé «Saisine d’une juridiction», dispose:

«1.       Une juridiction est réputée saisie:

a)       à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur;

ou

b)       si l’acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, à la date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit déposé auprès de la juridiction.»

8        Selon l’article 17 de ce règlement:

«La juridiction d’un État membre saisie d’une affaire pour laquelle sa compétence n’est pas fondée aux termes du présent règlement et pour laquelle une juridiction d’un autre État membre est compétente en vertu du présent règlement se déclare d’office incompétente.»

9        L’article 19, paragraphes 2 et 3, dudit règlement prévoit:

«2.      Lorsque des actions relatives à la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, ayant le même objet et la même cause, sont introduites auprès de juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.

3.       Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit en faveur de celle-ci.

Dans ce cas, la partie ayant introduit l’action auprès de la juridiction saisie en second lieu peut porter cette action devant la juridiction première saisie.»

10      L’article 20 du même règlement, intitulé «Mesures provisoires et conservatoires», dispose:

«1.      En cas d’urgence, les dispositions du présent règlement n’empêchent pas les juridictions d’un État membre de prendre des mesures provisoires ou conservatoires relatives aux personnes ou aux biens présents dans cet État, prévues par la loi de cet État membre même si, en vertu du présent règlement, une juridiction d’un autre État membre est compétente pour connaître du fond.

2.      Les mesures prises en exécution du paragraphe 1 cessent d’avoir effet lorsque la juridiction de l’État membre compétente en vertu du présent règlement pour connaître du fond a pris les mesures qu’elle estime appropriées.»

11      Les articles 21 et suivants du règlement nº 2201/2003 sont relatifs à la reconnaissance et à l’exécution des décisions. Ledit article 21, paragraphe 1, prévoit notamment que les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.

12      L’article 24 du règlement nº 2201/2003 prévoit qu’il ne peut être procédé au contrôle de la compétence de la juridiction de l’État membre d’origine.

 Les faits au principal et les procédures en cours

13      Il ressort de la décision de renvoi, des faits relatés dans l’arrêt du 15 juillet 2010, Purrucker (C‑256/09, non encore publié au Recueil), et du dossier de la procédure communiqué à la Cour par la juridiction de renvoi que, au milieu de l’année 2005, Mme Purrucker, ressortissante allemande, est allée habiter en Espagne avec M. Vallés Pérez, ressortissant espagnol né en Allemagne. De leur relation sont nés le 31 mai 2006 les enfants jumeaux prématurés Merlín, un garçon, et Samira, une fille. M. Vallés Pérez a reconnu les enfants. Étant donné que les parents vivaient ensemble, ils disposent, en vertu du droit espagnol, d’un droit de garde commun. Les enfants sont titulaires des nationalités allemande et espagnole.

14      Les relations entre Mme Purrucker et M. Vallés Pérez s’étant détériorées, Mme Purrucker a souhaité retourner en Allemagne avec ses enfants, tandis que M. Vallés Pérez s’y est, dans un premier temps, opposé. Le 30 janvier 2007, les parties ont conclu un accord notarié devant être approuvé par une juridiction pour être exécutoire, aux termes duquel Mme Purrucker devait déménager en Allemagne avec les enfants.

15      En raison de complications et de la nécessité de subir une intervention chirurgicale, l’enfant Samira n’a pu quitter l’hôpital le jour prévu pour le départ. Mme Purrucker est dès lors partie en Allemagne avec son fils Merlín le 2 février 2007. La question de savoir si, du fait de cette situation particulière, M. Vallés Pérez était encore favorable au départ de Mme Purrucker avec Merlín est litigieuse entre les parties au principal.

16      La résidence des membres de la famille est inchangée depuis le départ de Mme Purrucker le 2 février 2007.

17      Trois procédures sont en cours entre les parties au principal:

–        la première, en Espagne, devant le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial, ayant pour objet l’octroi de mesures provisoires, introduite par M. Vallés Pérez. Il n’est pas exclu que, sous certaines conditions, cette procédure pourrait être considérée comme étant une procédure au fond ayant pour objet l’octroi du droit de garde sur les enfants Merlín et Samira;

–        la deuxième, en Allemagne, introduite par M. Vallés Pérez, ayant pour objet l’exequatur du jugement du 8 novembre 2007 rendu par le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial octroyant des mesures provisoires et au sujet de laquelle a été rendu l’arrêt Purrucker, précité, et

–        la troisième, en Allemagne, introduite par Mme Purrucker, ayant pour objet l’octroi du droit de garde sur les mêmes enfants. Il s’agit de la procédure ayant donné lieu à la demande de décision préjudicielle.

 La procédure engagée en Espagne aux fins de l’octroi de mesures provisoires relatives à la garde des enfants et éventuellement en vue d’une décision au fond

18      Ne se sentant plus lié par l’accord notarié du 30 janvier 2007, M. Vallés Pérez a introduit, au cours du mois de juin 2007, une procédure aux fins de l’octroi de mesures provisoires et, notamment, du droit de garde sur les enfants Merlín et Samira, devant le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial.

19      L’audience a eu lieu le 26 septembre 2007. Mme Purrucker a présenté des observations écrites et y était représentée.

20      Par jugement du 8 novembre 2007, le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial s’est considéré compétent et a adopté des mesures urgentes et provisoires, notamment en ce qui concerne le droit de garde sur les enfants. Ce jugement a fait l’objet d’un jugement rectificatif du 28 novembre 2007.

21      Selon des éléments versés au dossier, en droit espagnol, lorsque des mesures provisoires sont demandées et obtenues préalablement à une demande au fond, leurs effets ne subsistent que si la demande contentieuse principale est présentée dans les 30 jours qui suivent l’adoption des mesures provisoires.

22      Vers le mois de janvier 2008, à une date non précisée et qui ne ressort d’aucune pièce du dossier communiqué par la juridiction de renvoi, M. Vallés Pérez aurait introduit une demande au fond devant le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial. Mme Purrucker allègue que cette demande était tardive.

23      Par jugement du 28 octobre 2008, le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial a pris position sur la question de la «juridiction première saisie» au sens de l’article 19, paragraphe 3, du règlement n° 2201/2003. Il relève qu’il a déjà tranché la question de sa compétence dans le jugement du 8 novembre 2007 et rappelle les différents éléments factuels de rattachement cités dans ce jugement. Il indique que, le 28 juin 2007, il a accueilli la demande d’octroi de mesures provisoires relatives à la garde des enfants. Dès lors que la juridiction allemande n’a été saisie qu’au mois de septembre 2007 par la mère, le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial se considère «juridiction première saisie» et se déclare compétent pour connaître de l’affaire conformément à l’article 16 du règlement n° 2201/2003.

24      Par arrêt du 21 janvier 2010, l’Audiencia Provincial de Madrid (Espagne), saisie en appel par Mme Purrucker, a confirmé le jugement du 28 octobre 2008. La juridiction d’appel considère que, pour l’application de l’article 16 du règlement n° 2201/2003, la première demande est la demande de mesures provisoires déposée conformément au droit espagnol devant le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial, antérieure à la demande formulée devant la juridiction allemande. En revanche, l’article 20 du règlement nº 2201/2003, invoqué par Mme Purrucker, s’il est applicable en l’espèce, n’établirait aucune règle en matière de compétence et concernerait uniquement l’adoption de mesures conservatoires dans le seul cas d’urgence, alors que la compétence, qui fait l’objet de l’espèce, serait déterminée conformément aux règles prévues à l’article 19 de ce règlement. Cette solution serait par ailleurs conforme aux dispositions de l’article 22, paragraphe 3, de la loi organique relative au pouvoir judiciaire (Ley Orgánica del Poder Judicial).

 La procédure engagée en Allemagne aux fins d’exequatur du jugement du 8 novembre 2007 rendu par le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial

25      Il s’agit de la procédure ayant donné lieu à l’arrêt Purrucker, précité. M. Vallés Pérez avait dans un premier temps exigé, entre autres, la restitution de l’enfant Merlín et introduit, à titre de précaution, une requête tendant à ce que soit déclarée la force exécutoire du jugement rendu le 8 novembre 2007 par le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial. Dans un second temps, il a demandé prioritairement l’exequatur de ce jugement. Par conséquent, l’Amtsgericht Stuttgart, par une décision du 3 juillet 2008, et l’Oberlandesgericht Stuttgart (Allemagne), par une décision du 22 septembre 2008 prise sur recours, ont accordé l’exequatur dudit jugement.

26      À la suite d’un recours en révision introduit par Mme Purrucker, le Bundesgerichtshof (Allemagne) a posé une question préjudicielle à la Cour. Par l’arrêt Purrucker, précité, celle-ci a répondu que les dispositions des articles 21 et suivants du règlement n° 2201/2003 ne s’appliquent pas à des mesures provisoires, en matière de droit de garde, relevant de l’article 20 dudit règlement.

27      Au point 76 de l’arrêt Purrucker, précité, la Cour a notamment indiqué que, lorsque la compétence au fond, conformément au règlement n° 2201/2003, d’une juridiction ayant adopté des mesures provisoires ne ressort pas, de toute évidence, des éléments de la décision adoptée, ou que cette décision ne contient pas une motivation dépourvue de toute ambiguïté, relative à la compétence au fond de cette juridiction, par référence à l’un des chefs de compétence visés aux articles 8 à 14 de ce règlement, il peut en être conclu que ladite décision n’a pas été adoptée conformément aux règles de compétence prévues par ledit règlement.

 La procédure engagée en Allemagne aux fins de l’octroi du droit de garde

28      Le 20 septembre 2007, Mme Purrucker a demandé, par une action au fond engagée devant l’Amtsgericht Albstadt (Allemagne), que le droit de garde exclusif sur les enfants Merlín et Samira lui soit attribué. Cette requête n’a été notifiée au défendeur au principal que le 22 février 2008 par lettre recommandée avec accusé de réception. Toutefois, il avait auparavant déjà eu connaissance de cette requête, tout comme le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial.

29      Il ressort notamment de décisions des 25 septembre 2007 et 9 janvier 2008 de l’Amtsgericht Albstadt que, selon cette juridiction, la demande de Mme Purrucker n’avait aucune chance de succès. En effet, dès lors que les parents n’étaient pas mariés et qu’il ne semblait pas exister de déclaration de droit de garde commun, l’accord notarié du 30 janvier 2007 ne pouvant être interprété comme constituant une telle déclaration, Mme Purrucker disposait du droit de garde exclusif sur les enfants, si bien qu’une décision d’octroi du droit de garde n’était pas nécessaire. L’Amtsgericht Albstadt faisait par ailleurs mention de la procédure pendante en Espagne.

30      Par une décision du 19 mars 2008, l’Amtsgericht Albstadt a notamment rejeté, pour incompétence, la demande de Mme Purrucker en ce qu’elle concerne l’enfant Samira. Cette décision a été confirmée le 5 mai 2008 par l’Oberlandesgericht Stuttgart. Dans sa décision, l’Oberlandesgericht Stuttgart a relevé que cet enfant avait, depuis sa naissance, sa résidence habituelle en Espagne. Selon cette juridiction, l’article 9 du règlement n° 2201/2003 ne s’appliquait pas aux faits de l’espèce et les conditions de l’article 15 du même règlement n’étaient pas remplies.

31      Par une autre décision du 19 mars 2008, l’Amtsgericht Albstadt a suspendu la procédure en matière de droit de garde en ce qui concerne l’enfant Merlín en vertu de l’article 16 de la convention de La Haye, du 25 octobre 1980, sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (ci-après la «convention de La Haye de 1980»). Cette procédure a repris le 28 mai 2008 sur demande de Mme Purrucker car, jusqu’à cette date, M. Vallés Pérez n’a pas présenté de demande de retour sur le fondement de la convention de La Haye de 1980. Aucune demande n’a été présentée ultérieurement.

32      En raison de la demande d’exécution du jugement du Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial du 8 novembre 2007 introduite par M. Vallés Pérez, la procédure relative au droit de garde a été attribuée à l’Amtsgericht Stuttgart, conformément à l’article 13 de la loi relative à l’exécution et à l’application de certains instruments légaux en matière de droit international de la famille (Gesetz zur Aus- und Durchführung bestimmter Rechtsinstrumente auf dem Gebiet des internationalen Familienrechts).

33      Le 16 juillet 2008, Mme Purrucker a saisi, sur le fondement de l’article 20 du règlement n° 2201/2003, l’Amtsgericht Stuttgart d’une demande visant à l’obtention d’une mesure provisoire lui attribuant la garde exclusive concernant son fils Merlín, ou, à titre subsidiaire, le droit exclusif de fixer la résidence de cet enfant. Le contexte de cette demande était marqué, notamment, par des problèmes apparus lors des contrôles médicaux préventifs. Par décision du 28 juillet 2008, la mesure sollicitée a été refusée, en raison d’un défaut d’urgence au sens de l’article 20 du règlement n° 2201/2003. L’Amtsgericht Stuttgart a notamment relevé que l’enfant était couvert par la sécurité sociale de son père en Espagne et que, au besoin, il serait possible d’ordonner la remise à la mère de la carte d’assurance maladie.

34      Il ressort du dossier de la procédure communiqué à la Cour par la juridiction de renvoi que, aux mois d’août, de septembre et d’octobre 2008, l’Amtsgericht Stuttgart a tenté, dans le cadre de la procédure au fond pendante devant lui, à plusieurs reprises et par des moyens divers, notamment par l’intermédiaire du magistrat espagnol de liaison dans le réseau judiciaire européen (RJE), d’entrer en contact avec le le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial afin de savoir si une procédure au fond existait également devant lui. Ses efforts sont cependant restés sans succès.

35      Le 28 octobre 2008, l’Amtsgericht Stuttgart a adopté une décision dans laquelle il expose les démarches effectuées auprès du magistrat espagnol de liaison et l’absence de réponse de la part du Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial. Il demande aux parties de fournir et de prouver, premièrement, la date de la demande de mesures provisoires par le père en Espagne, deuxièmement, la notification du jugement du Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial du 8 novembre 2007 et, troisièmement, le dépôt de la demande au fond par le père en Espagne ainsi que la date de la notification de cette demande à la mère.

36      Le 28 octobre 2008 également, le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial a adopté le jugement dont le contenu est décrit au point 23 du présent arrêt et dans lequel il se réfère à la lettre que lui a adressée l’Amtsgericht Stuttgart.

37      Après avoir invité les parties à prendre une nouvelle fois position, l’Amtsgericht Stuttgart a adopté une décision, le 8 décembre 2008. Il y fait mention du jugement du Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial du 28 octobre 2008 et du recours qui va être introduit par Mme Purrucker contre celui-ci. Il a estimé qu’il ne pouvait pas statuer lui-même sur la question de la «juridiction première saisie» car cela nuirait à la sécurité juridique dès lors que deux juridictions d’États membres différents pourraient adopter des décisions contradictoires. La question devrait être tranchée par la juridiction qui a déclaré en premier sa compétence. En conséquence, l’Amtsgericht Stuttgart a décidé de surseoir à statuer conformément à l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003 jusqu’à ce que le jugement du Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial du 28 octobre 2008 ait acquis l’autorité de la chose jugée.

38      Mme Purrucker a introduit un recours contre la décision de l’Amtsgericht Stuttgart du 8 décembre 2008. Le 14 mai 2009, l’Oberlandesgericht Stuttgart en a prononcé l’annulation et a renvoyé l’affaire devant l’Amtsgericht Stuttgart afin qu’il adopte une nouvelle décision. L’Oberlandesgericht Stuttgart a estimé qu’une juridiction était tenue de contrôler elle-même sa compétence et que l’article 19 du règlement n° 2201/2003 ne conférait à aucune des juridictions saisies la compétence exclusive pour déterminer quel était le tribunal premier saisi. L’Oberlandesgericht Stuttgart a relevé que la demande relative au droit de garde, introduite en Espagne au cours du mois de juin 2007 par M. Vallés Pérez, s’inscrivait dans le cadre d’une procédure tendant à l’octroi de mesures provisoires, alors que la demande relative au droit de garde, introduite en Allemagne le 20 septembre 2007 par Mme Purrucker, constituait une action au fond. Une telle action et une procédure tendant à l’octroi de mesures provisoires auraient pour objet des litiges différents ou des demandes différentes. Il conviendrait, le cas échéant, d’admettre l’existence d’un conflit de compétence positif entre deux juridictions.

39      Par ordonnance du 8 juin 2009, l’Amtsgericht Stuttgart a demandé une nouvelle fois aux parties de lui indiquer à quel stade se trouvait la procédure engagée en Espagne et les a invitées à prendre position sur la possibilité de déférer à la Cour la question préjudicielle relative à la détermination de la juridiction première saisie, conformément à l’article 104 ter du règlement de procédure de la Cour de justice.

40      Par ordonnance du 19 octobre 2009, l’Amtsgericht Stuttgart a proposé aux parties un accord, en ce que celles-ci pouvaient soit fixer ensemble le lieu de résidence habituelle de Merlín chez Mme Purrucker et celui de Samira chez M. Vallés Pérez, moyennant le maintien du droit de garde commun, soit demander, d’un commun accord, que le droit de garde concernant Merlín soit attribué à Mme Purrucker et que la garde de Samira revienne à M. Vallés Pérez. La proposition n’a cependant pas été retenue.

41      Le 13 janvier 2010, une audience s’est tenue devant l’Amtsgericht Stuttgart en présence des parties au principal, M. Vallés Peréz étant représenté par son avocat. Les points de vue de ces dernières n’ont pu être ni harmonisés ni rapprochés.

42      Le 21 janvier 2010, l’Audiencia Provincial de Madrid a statué sur l’appel introduit par Mme Purrucker par l’arrêt dont il est fait mention au point 24 du présent arrêt. Cet arrêt du 21 janvier 2010 a été communiqué à l’Amtsgericht Stuttgart par un courrier de l’avocat allemand de M. Vallés Pérez.

 La décision de renvoi et les questions préjudicielles

43      Dans la décision de renvoi, l’Amtsgericht Stuttgart expose pourquoi, selon lui, il n’existe aucun doute raisonnable quant au fait que Merlín avait sa résidence habituelle en Allemagne à la date du 21 septembre 2007, au moment de l’introduction de la demande d’octroi de sa garde par Mme Purrucker.

44      Selon cette juridiction, le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial ne disposait pas, sur le fondement de l’article 10 du règlement n° 2201/2003, d’une compétence ininterrompue jusqu’au 21 septembre 2007 par le fait que les membres de la famille avaient auparavant leur résidence habituelle commune en Espagne, car il n’est ni vraisemblable ni prouvé que le déplacement de Merlín par Mme Purrucker de l’Espagne vers l’Allemagne était illicite. L’accord notarié du 30 janvier 2007 et, de surcroît, l’absence effective d’une demande déclarée de retour, formulée en application de l’article 11 du règlement n° 2201/2003 en combinaison avec la convention de la Haye de 1980, constituent des éléments venant réfuter la thèse d’un enlèvement illicite d’un enfant au sens de l’article 2, point 11, dudit règlement. Le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial ne fonderait d’ailleurs pas sa compétence sur cette disposition.

45      L’Amtsgericht Stuttgart rappelle que, selon l’article 16 du règlement n° 2201/2003, une juridiction est réputée saisie à la date à laquelle l’acte introductif d’instance est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur.

46      L’Amtsgericht Stuttgart précise que la requête du 20 septembre 2007 a été déposée devant l’Amtsgericht Albstadt le 21 septembre 2007, mais n’a été notifiée au défendeur au principal que le 22 février 2008, pour des motifs dont Mme Purrucker n’est pas responsable, liés à la contestation de la compétence internationale de cette juridiction pour adopter des mesures en matière de droit de garde relatives à la fille des parties au principal, Samira.

47      L’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003 prévoit que la juridiction d’un État membre, saisie en premier lieu d’une action relative à la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, est prioritairement compétente par rapport à une juridiction d’un autre État membre saisie ultérieurement d’une action ayant le même objet et la même cause. Selon la juridiction de renvoi, l’objet du litige ayant donné lieu à l’introduction, au mois de juin 2007, d’une procédure de référé devant la juridiction espagnole est identique à celui ayant donné lieu à l’action au fond dont la juridiction allemande a été saisie au mois de septembre 2007. Les deux procédures auraient en effet pour objet une demande visant à l’obtention de mesures judiciaires en matière de responsabilité parentale concernant le même enfant commun. Chacune des deux parties conclurait, dans chaque cas, à ce que la garde exclusive lui soit attribuée. Dans les deux procédures, les parties seraient identiques.

48      La priorité dans le temps d’une procédure s’apprécierait en vertu de l’article 16 du règlement n° 2201/2003. L’Amtsgericht Stuttgart relève cependant que le libellé de cette disposition n’établit aucune distinction entre une action au fond et une procédure de référé, visant à l’octroi de mesures provisoires. Cette situation laisserait place à différentes conceptions juridiques relatives au domaine d’application de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003.

49      Il résulterait de la conception juridique adoptée par le Juzgado de Primera Instancia n. 4 de San Lorenzo de El Escorial et par l’Audiencia Provincial de Madrid qu’une juridiction espagnole est considérée comme étant saisie, au sens des articles 16 et 19, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003, par l’introduction d’une demande de référé. La procédure de référé, combinée à une action au fond introduite ultérieurement, constituerait une unité procédurale. Une ordonnance de référé ne serait cependant ipso jure plus valable si une action au fond n’est pas introduite dans les 30 jours suivant la notification de l’ordonnance de référé.

50      Selon l’ordonnance du 14 mai 2009 de l’Oberlandesgericht Stuttgart, en revanche, l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003 ne concernerait pas la relation entre une action au fond et une procédure de référé, dès lors que ces procédures ont des objets différents, alors même qu’une décision relative à la garde d’un enfant a des effets identiques qu’elle soit rendue en référé ou au fond. Cette interprétation serait également justifiée par le fait que les articles 21 et suivants du règlement n° 2201/2003 ne s’appliquent pas aux mesures provisoires, au sens de l’article 20 dudit règlement.

51      Au vu de ces éléments, l’Amtsgericht Stuttgart a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)       Les dispositions de l’article 19, paragraphe 2, du règlement [n° 2201/2003] sont-elles applicables lorsqu’une juridiction d’un État membre première saisie par l’une des parties en vue de l’obtention de mesures en matière de responsabilité parentale n’est saisie qu’en vue de prononcer des mesures provisoires et qu’une juridiction d’un autre État membre est saisie en second lieu par l’autre partie d’une demande ayant le même objet en vue de rendre une décision au fond?

2)       Convient-il également d’appliquer ces dispositions lorsqu’une décision prise dans le cadre d’une procédure isolée de référé dans un État membre est insusceptible de reconnaissance dans un autre État membre au sens de l’article 21 du règlement n° 2201/2003?

3)       La saisine d’une juridiction d’un État membre dans le cadre d’une procédure isolée de référé doit-elle être assimilée à une saisine au fond au sens de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003 lorsque le droit procédural national de cet État prévoit que, pour éviter des inconvénients d’ordre procédural, ladite juridiction doit être saisie ultérieurement, dans un délai déterminé, pour statuer au fond sur le litige?»

 La procédure devant la Cour

52      Dans la décision de renvoi, l’Amtsgericht Stuttgart a demandé que le renvoi préjudiciel soit soumis à une procédure accélérée en vertu de l’article 104 ter du règlement de procédure de la Cour, suggérant par ailleurs que ce renvoi soit soumis à la même formation que celle qui a connu de la demande de décision préjudicielle présentée par le Bundesgerichtshof. Par courrier du 1er juillet 2010, l’Amtsgericht Stuttgart a procédé à une clarification de sa demande en précisant que celle-ci visait l’application non pas de l’article 104 ter du règlement de procédure, mais bien de l’article 104 bis de ce règlement.

53      Par ordonnance du 15 juillet 2010, le président de la Cour a fait droit à cette demande.

 Sur les questions préjudicielles

54      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003 est applicable lorsque la juridiction d’un État membre première saisie par l’une des parties en vue de l’obtention de mesures en matière de responsabilité parentale n’est saisie qu’en vue de prononcer des mesures provisoires et qu’une juridiction d’un autre État membre est saisie en second lieu par l’autre partie d’une demande ayant le même objet en vue de rendre une décision au fond. La deuxième question porte sur l’application de cette disposition à une décision portant mesures provisoires non susceptible de reconnaissance au sens de l’article 21 de ce règlement tandis que la troisième question porte sur l’application de ladite disposition à une procédure visant à l’obtention de mesures provisoires éventuellement liée à une procédure au fond.

55      Il convient d’examiner ces questions ensemble.

 Observations des parties

56      Deux thèses ont été développées devant la Cour.

57      D’une part, Mme Purrucker, le gouvernement allemand et la Commission européenne soutiennent qu’il n’y a pas litispendance en cas de procédure au fond concomitante avec une procédure visant à l’obtention de mesures provisoires ayant donné lieu à l’adoption d’une décision, quand bien même cette procédure serait susceptible de constituer une unité procédurale avec la demande au fond, lorsqu’elle est introduite dans un délai prévu par la loi. Chaque procédure devrait être considérée comme une entité autonome et la litispendance prendrait fin dès lors qu’une décision est intervenue.

58      À défaut, souligne le gouvernement allemand, un changement de la résidence habituelle de l’enfant ne pourrait être pris en compte alors même que le règlement n° 2201/2003 prend en considération un tel changement, ce qui irait à l’encontre de l’objectif de ce règlement, qui est de permettre à la juridiction la plus proche de l’enfant de statuer en matière de responsabilité parentale. Par ailleurs, le fait de considérer qu’il y a litispendance en cas de procédure au fond concomitante avec une procédure visant à l’obtention de mesures provisoires ayant donné lieu à l’adoption d’une décision obligerait la juridiction saisie en second lieu à procéder à des enquêtes sur le droit national de l’État membre de la juridiction première saisie, pour savoir si l’octroi de mesures provisoires implique ou non qu’une procédure au fond est toujours pendante. Enfin, le gouvernement allemand invoque le risque de la libre détermination par les parties de la compétence juridictionnelle («forum shopping») s’il est fait état du critère de l’urgence pour obtenir d’un juge qu’il s’estime compétent, octroie des mesures provisoires urgentes et reste saisi de la demande au fond.

59      D’autre part, les gouvernements tchèque, espagnol et français soutiennent que la nature de la procédure, de référé ou au fond, est sans incidence sur l’application de l’article 19 du règlement n° 2201/2003. Rappelant le point 130 des conclusions de Mme l’avocat général Sharpston dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Purrucker, précité, le gouvernement français souligne que ce règlement dans son ensemble ne fait pas de distinction entre les décisions finales ou fermes d’une part, et les décisions provisoires d’autre part, que ce soit dans les chapitres 1 et 2 dudit règlement ou dans le chapitre 3 de celui-ci consacré à la reconnaissance. Le critère pertinent serait donc que les deux demandes pendantes aient le même objet et la même cause, ce qui serait le cas lorsque deux parents demandent chacun la garde d’un même enfant, que ce soit à titre de mesure provisoire ou de décision définitive.

60      Tous les intéressés au sens de l’article 23 du statut de la Cour ayant déposé des observations considèrent qu’il n’y a pas litispendance lorsque l’une des demandes vise à l’obtention de mesures provisoires au sens de l’article 20 du règlement n° 2201/2003, ou lorsque le juge premier saisi a déjà ordonné des mesures provisoires au sens de cette disposition.

61      La Commission souligne cependant qu’il est difficile, pour le juge saisi en second lieu, de déterminer si des mesures provisoires sont adoptées par la juridiction compétente pour connaître du fond ou s’il s’agit de mesures provisoires au sens de l’article 20 du règlement n° 2201/2003. C’est pour ce motif que la Commission soutient la même thèse que celle soutenue par le gouvernement allemand, à savoir qu’une procédure visant à l’obtention de mesures provisoires est une procédure autonome, qui prend fin par l’adoption de la décision octroyant de telles mesures. Elle admet toutefois qu’il conviendrait de faire exception à ce principe lorsque le droit national impose à un requérant de commencer par engager une procédure de référé avant de pouvoir introduire une procédure au fond.

62      La plupart des intéressés ayant présenté des observations ont indiqué que, si la règle relative à la litispendance figurant à l’article 19 du règlement n° 2201/2003 était la même que celle figurant à l’article 21 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et – texte modifié – p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l’adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), par la convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1), ainsi que par la convention du 29 novembre 1996 relative à l’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1, ci-après la «convention de Bruxelles»), et à l’article 27 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), l’objectif et les autres dispositions de ces différents textes étaient trop différents pour appliquer, dans le contexte du règlement n° 2201/2003, des solutions éventuellement adoptées dans le cadre de la convention de Bruxelles ou du règlement n° 44/2001.

63      Le gouvernement allemand souligne notamment que, dans les matières de droit civil relevant du champ d’application du règlement n° 44/2001, une mesure provisoire n’est revêtue que d’une force de chose jugée limitée, alors que la décision au fond acquiert pleine force de chose jugée. Tel ne serait pas le cas d’une mesure provisoire adoptée en matière d’autorité parentale, qui n’aurait qu’une force de chose jugée formelle mais non matérielle, en ce sens qu’elle pourrait faire ultérieurement l’objet d’une nouvelle décision pour tenir compte de nouvelles circonstances. Par ailleurs, ainsi que le relève la Commission, les règles relatives aux conflits de décisions sont différentes.

 Réponse de la Cour

64      Les règles relatives à la litispendance tendent, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice au sein de l’Union, à éviter des procédures parallèles devant les juridictions de différents États membres et les contrariétés de décisions qui pourraient en résulter (voir, en ce sens, s’agissant de la convention de Bruxelles, arrêts du 9 décembre 2003, Gasser, C‑116/02, Rec. p. I‑14693, point 41, ainsi que du 14 octobre 2004, Mærsk Olie & Gas, C‑39/02, Rec. p. I‑9657, point 31).

65      Selon les termes de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003, il y a litispendance lorsque des actions relatives à la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, ayant le même objet et la même cause, sont introduites auprès de juridictions d’États membres différents. À cet égard, il n’est pas nécessaire que les actions soient formées entre les mêmes parties.

66      Eu égard aux objectifs poursuivis par le règlement n° 2201/2003 et à la circonstance que le texte de l’article 19, paragraphe 2, de ce règlement, au lieu de se référer au terme de «litispendance» tel qu’il est employé dans les différents ordres juridiques nationaux des États membres, énonce plusieurs conditions matérielles en tant qu’éléments d’une définition, il faut conclure que les notions utilisées audit article 19, paragraphe 2, pour déterminer une situation de litispendance doivent être considérées comme autonomes (voir, en ce sens, s’agissant de la convention de Bruxelles, arrêt du 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik, 144/86, Rec. p. 4861, point 11).

67      Les notions de «même objet» et de «même cause» doivent être définies en tenant compte de l’objectif de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003, qui est de prévenir des décisions incompatibles.

68      La Cour a déjà jugé, dans le cadre de la convention de Bruxelles, que l’objet du litige consiste dans le but de la demande (voir arrêt du 6 décembre 1994, Tatry, C‑406/92, Rec. p. I‑5439, point 41). Pour vérifier si deux demandes présentent le même objet, il convient de tenir compte des prétentions respectives des demandeurs dans chacun des litiges (arrêt du 8 mai 2003, Gantner Electronic, C‑111/01, Rec. p. I‑4207, point 26). Par ailleurs, la Cour a interprété la notion de «cause» comme comprenant les faits et la règle juridique invoqués comme fondement de la demande (voir arrêt Tatry, précité, point 39).

69      C’est à juste titre que l’ensemble des intéressés ayant présenté des observations soutiennent qu’il ne saurait exister de litispendance entre une demande visant à l’obtention de mesures provisoires au sens de l’article 20 dudit règlement et une demande au fond.

70      En effet, ainsi que la Cour l’a rappelé au point 61 de l’arrêt Purrucker, précité, l’article 20 du règlement n° 2201/2003 ne saurait être considéré comme une disposition attributive de compétence pour connaître du fond.

71      En outre, l’application de ladite disposition n’empêche pas la saisine de la juridiction compétente pour connaître du fond. L’article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003 prévient tout risque de contradiction de décisions entre une décision octroyant des mesures provisoires au sens de l’article 20 de ce règlement et une décision adoptée par la juridiction compétente pour connaître du fond puisqu’il prévoit que les mesures provisoires au sens de l’article 20, paragraphe 1, dudit règlement cessent d’avoir effet lorsque la juridiction compétente pour connaître du fond a pris les mesures qu’elle estime appropriées.

72      La litispendance au sens de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003 ne peut dès lors exister que lorsque deux ou plusieurs procédures ayant le même objet et la même cause sont pendantes devant différentes juridictions et que les demandeurs, dans ces différentes procédures, prétendent obtenir une décision susceptible de reconnaissance dans un État membre autre que celui d’une juridiction saisie en raison de sa compétence pour connaître du fond.

73      À cet égard, il ne saurait être établi de distinction selon la nature des procédures introduites devant ces juridictions, à savoir procédure de référé ou procédure au fond. En effet, il ne ressort ni de la notion de «décision», visée à l’article 2, point 4, du règlement n° 2201/2003, ni des articles 16 et 19 de celui-ci relatifs, respectivement, à la saisine d’une juridiction et à la litispendance, que ce règlement ferait une telle distinction. Il en va de même des dispositions dudit règlement relatives à la reconnaissance et l’exécution des décisions, tels les articles 21 et 23 de celui-ci.

74      Du reste, le recours à l’une ou à l’autre procédure pourrait être dicté par les spécificités du droit national. La Commission a évoqué l’hypothèse d’un droit national prévoyant l’obligation d’engager une procédure de référé avant de pouvoir introduire la procédure au fond.

75      Eu égard à la jurisprudence rappelée au point 68 du présent arrêt, et plus particulièrement à l’arrêt Gantner Electronic, précité, ce qui importe est donc de savoir si la prétention du demandeur devant la juridiction première saisie est d’obtenir une décision de cette juridiction en raison de sa compétence pour connaître du fond au sens du règlement n° 2201/2003.

76      C’est la comparaison entre la prétention du demandeur devant cette juridiction et celle du demandeur devant la juridiction saisie en second lieu qui permettra à cette dernière d’apprécier s’il existe ou non une litispendance.

77       S’il ressort manifestement de l’objet de la demande formée devant le juge premier saisi et des circonstances de fait qu’elle décrit que celle-ci ne contient aucun élément permettant de justifier une compétence pour connaître du fond, au sens du règlement n° 2201/2003, de la juridiction saisie par ladite demande, la juridiction saisie en second lieu pourra considérer qu’il n’y a pas litispendance.

78      En revanche, s’il ressort des prétentions du demandeur ou des éléments de fait contenus dans la demande formée devant le juge premier saisi, même si celle-ci vise à l’obtention de mesures provisoires, qu’elle est introduite auprès d’une juridiction qui, à première vue, pourrait être compétente pour connaître du fond, il importe à la juridiction saisie en second lieu de surseoir à statuer conformément à l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003, jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie. Selon les circonstances et si les conditions de l’article 20 de ce règlement sont remplies, la juridiction saisie en second lieu peut prendre les mesures provisoires nécessaires dans l’intérêt de l’enfant.

79      L’existence d’une décision judiciaire octroyant des mesures provisoires, sans qu’il soit précisé, dans cette décision, si la juridiction qui a adopté ces mesures est compétente pour connaître du fond, ne peut constituer une preuve, à l’appui d’une exception de litispendance, de l’existence d’une demande au fond, en l’absence de précisions quant à la compétence de la juridiction première saisie et aux circonstances de fait contenues dans la demande au fond.

80      Toutefois, il importe à la juridiction saisie en second lieu de vérifier d’elle-même si, en ce qu’elle octroie des mesures provisoires, la décision de la juridiction saisie en premier lieu n’était qu’un préalable à une décision ultérieure adoptée en meilleure connaissance de cause et dans des conditions qui ne seraient plus caractérisées par l’urgence à statuer. La juridiction saisie en second lieu devrait par ailleurs vérifier s’il existe une unité procédurale entre la prétention faisant l’objet des mesures provisoires et une prétention au fond introduite ultérieurement.

81      Selon les possibilités prévues par son droit national, la juridiction saisie en second lieu peut, lorsque les deux litiges opposent les mêmes parties, s’enquérir auprès de la partie qui invoque l’exception de litispendance de l’existence du litige allégué et du contenu de la demande. Par ailleurs, prenant en considération le fait que le règlement n° 2201/2003 est fondé sur la coopération et la confiance mutuelle entre les juridictions, cette juridiction peut avertir la juridiction première saisie de l’introduction de la demande devant elle, attirer l’attention de cette dernière sur l’éventualité d’une litispendance, inviter cette dernière à lui communiquer les informations relatives à la demande pendante devant elle et à prendre position sur sa compétence au sens du règlement n° 2201/2003 ou à lui communiquer toute décision déjà adoptée à cet égard. Enfin, la juridiction saisie en second lieu pourra s’adresser à l’autorité centrale de son État membre.

82      Si, malgré les efforts déployés par la juridiction saisie en second lieu, celle-ci ne dispose d’aucun élément attestant de l’existence d’une demande introduite devant une autre juridiction et permettant de déterminer l’objet et la cause de cette demande, et visant, notamment, à démontrer la compétence de l’autre juridiction saisie conformément au règlement n° 2201/2003, il lui incombe, après un délai raisonnable d’attente des réponses aux questions formulées, de poursuivre l’examen de la demande introduite devant elle.

83      La durée de ce délai raisonnable d’attente doit être déterminée par la juridiction en fonction tout d’abord de l’intérêt de l’enfant. Le fait qu’il s’agisse d’un enfant en bas âge est un critère à prendre en considération à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2008, Rinau, C‑195/08 PPU, Rec. p. I‑5271, point 81).

84      Il y a lieu de rappeler que le règlement n° 2201/2003 a pour objectif, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, de permettre à la juridiction qui lui est la plus proche et qui, dès lors, connaît le mieux sa situation et l’état de son développement, de prendre les décisions nécessaires.

85      Enfin, il importe de souligner que, selon l’article 24 du règlement n° 2201/2003, il ne peut être procédé au contrôle de la compétence de la juridiction de l’État membre d’origine. Or, si l’article 19, paragraphe 2, dudit règlement prévoit que le juge saisi en second lieu doit surseoir à statuer en cas de litispendance, c’est précisément pour permettre à la juridiction première saisie de statuer sur sa compétence.

86      Il résulte de l’ensemble de ces considérations qu’il convient de répondre comme suit aux questions posées:

–        Les dispositions de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 2201/2003 ne sont pas applicables lorsqu’une juridiction d’un État membre première saisie en vue de l’obtention de mesures en matière de responsabilité parentale n’est saisie qu’en vue de prononcer des mesures provisoires au sens de l’article 20 de ce règlement et qu’une juridiction d’un autre État membre compétente pour connaître du fond au sens du même règlement est saisie en second lieu d’une demande visant à l’obtention des mêmes mesures, que ce soit à titre provisoire ou à titre définitif.

–        Le fait qu’une juridiction d’un État membre soit saisie dans le cadre d’une procédure de référé ou qu’une décision soit prise dans le cadre d’une telle procédure et qu’il ne ressort d’aucun élément de la demande introduite ou de la décision adoptée que la juridiction saisie en référé soit compétente au sens du règlement n° 2201/2003 n’a pas nécessairement pour conséquence d’exclure qu’il existe, ainsi que l’autorise éventuellement le droit national de cet État membre, une demande au fond liée à la demande en référé et contenant des éléments visant à démontrer que la juridiction saisie est compétente au sens de ce règlement.

–        Lorsque, malgré les efforts déployés par la juridiction saisie en second lieu pour s’informer auprès de la partie qui invoque la litispendance, de la juridiction première saisie et de l’autorité centrale, la juridiction saisie en second lieu ne dispose d’aucun élément permettant de déterminer l’objet et la cause d’une demande introduite devant une autre juridiction et visant, notamment, à démontrer la compétence de cette juridiction conformément au règlement n° 2201/2003, et que, en raison de circonstances particulières, l’intérêt de l’enfant exige l’adoption d’une décision susceptible de reconnaissance dans des États membres autres que celui de la juridiction saisie en second lieu, il incombe à cette dernière juridiction, après un délai raisonnable d’attente des réponses aux questions formulées, de poursuivre l’examen de la demande introduite devant elle. La durée de ce délai raisonnable doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant au regard des circonstances propres au litige en cause.

 Sur les dépens

87      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

Les dispositions de l’article 19, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, ne sont pas applicables lorsqu’une juridiction d’un État membre première saisie en vue de l’obtention de mesures en matière de responsabilité parentale n’est saisie qu’en vue de prononcer des mesures provisoires au sens de l’article 20 de ce règlement et qu’une juridiction d’un autre État membre compétente pour connaître du fond au sens du même règlement est saisie en second lieu d’une demande visant à l’obtention des mêmes mesures, que ce soit à titre provisoire ou à titre définitif.

Le fait qu’une juridiction d’un État membre soit saisie dans le cadre d’une procédure de référé ou qu’une décision soit prise dans le cadre d’une telle procédure et qu’il ne ressort d’aucun élément de la demande introduite ou de la décision adoptée que la juridiction saisie en référé soit compétente au sens du règlement n° 2201/2003 n’a pas nécessairement pour conséquence d’exclure qu’il existe, ainsi que l’autorise éventuellement le droit national de cet État membre, une demande au fond liée à la demande en référé et contenant des éléments visant à démontrer que la juridiction saisie est compétente au sens de ce règlement.

Lorsque, malgré les efforts déployés par la juridiction saisie en second lieu pour s’informer auprès de la partie qui invoque la litispendance, de la juridiction première saisie et de l’autorité centrale, la juridiction saisie en second lieu ne dispose d’aucun élément permettant de déterminer l’objet et la cause d’une demande introduite devant une autre juridiction et visant, notamment, à démontrer la compétence de cette juridiction conformément au règlement n° 2201/2003, et que, en raison de circonstances particulières, l’intérêt de l’enfant exige l’adoption d’une décision susceptible de reconnaissance dans des États membres autres que celui de la juridiction saisie en second lieu, il incombe à cette dernière juridiction, après un délai raisonnable d’attente des réponses aux questions formulées, de poursuivre l’examen de la demande introduite devant elle. La durée de ce délai raisonnable doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant au regard des circonstances propres au litige en cause.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.